Sécheresses, vagues de chaleur, excès d’eau, nouvelles maladies… L’agriculture est en première ligne face au changement climatique. Mais comment savoir si un territoire agricole peut encaisser ces chocs et continuer à produire ? Comment mesurer sa résilience ?
Lors de l’atelier CDM Success consacré au sujet, deux experts ont apporté leurs éclairages :
Leur objectif : donner aux chargés de mission climat une vision stratégique de la résilience agricole, grâce à une série d’indicateurs simples mais structurants. Une façon de dépasser les approches partielles et d’outiller les territoires pour juger de la pérennité de l’activité agricole à moyen et long terme.
Concrètement, trois grands leviers permettent d’évaluer cette résilience : l’accès à l’eau, la diversité des productions et des revenus ainsi que les sols et leurs usages. Ces trois leviers peuvent être mesurés grâce à une série d’indicateurs précis.
L’eau est au cœur du fonctionnement agricole : elle conditionne la croissance des plantes comme celle des animaux. Or le changement climatique accentue les tensions : températures plus élevées, sécheresses plus fréquentes, évapotranspiration accrue (perte d’eau par le sol et les plantes).
En France, l’irrigation concerne déjà de nombreuses cultures : le maïs bien sûr, mais aussi les fourrages, d’autres céréales, l’arboriculture et les légumes. Avec le réchauffement climatique, la liste s’allonge : des cultures jusque-là peu concernées, comme le tournesol, le colza ou le sorgho, nécessitent désormais des apports en eau. Cette extension des besoins intervient alors que la ressource en eau se raréfie, surtout en été, saison la plus critique pour les territoires agricoles.
Pour mesurer cette dépendance, six indicateurs peuvent être suivis. Ils permettent de répondre à deux questions simples : quelle est l’ampleur de l’irrigation ? Et à quel moment de l’année intervient-elle ?
Quelle ampleur ?
À quel moment ?
À retenir : un territoire pour lequel la production agricole repose sur de la monoculture irriguée avec des besoins importants en période estivale est plus vulnérable qu’un territoire où l’eau est utilisée de façon plus diversifiée et répartie dans le temps.
Si l’eau est une condition vitale pour produire, elle ne garantit pas à elle seule la pérennité d’une activité agricole. La capacité à résister aux aléas repose aussi sur un autre levier : la diversification des productions et des revenus. Ce principe est simple : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier renforce la résilience face aux chocs climatiques.
Un bon réflexe pour renforcer la résilience agricole : éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier ! Concrètement, cela peut passer par deux leviers : diversifier les productions agricoles et diversifier les activités génératrices de revenus.
Il s’agit de varier les systèmes de production :
Exemple : une année de forte chaleur peut impacter le rendement d’une culture sensible comme le colza, mais épargner une culture plus robuste comme le sorgho. Une exploitation diversifiée a plus de chances de « tenir le coup » dans sa production, en limitant les pertes immédiates de rendement.
Au-delà de la production, certaines fermes développent des activités complémentaires qui viennent sécuriser une part de leurs revenus :
Ces activités créent des sources de revenus différenciées qui peuvent compenser une mauvaise saison, stabiliser les résultats économiques et parfois redonner de l’attractivité à l’exploitation agricole.
À retenir : plus un territoire agricole multiplie ses productions et ses débouchés économiques, plus il dispose de marges de manœuvre pour absorber un choc climatique. La vocation première de l’agriculture reste la production de matières agricoles pour l’alimentation ; la diversification n’est pas une garantie, mais un filet de sécurité précieux pour éviter qu’un aléa climatique ne se transforme en impasse.
Encore faut-il que les sols soient capables de supporter les aléas. Leur état constitue en réalité le socle de la résilience agricole, car sans sols vivants et fertiles, aucune production ne peut durer.
L’état des sols est un levier central de la résilience agricole. Un sol agricole vivant et riche en matière organique (carbone et éléments nourrissant la vie du sol) permet de mieux encaisser les chocs climatiques, de limiter les pertes et d’assurer la continuité de production. En pratique : protéger les sols, préserver leur fonctionnement biologique et renforcer leur autonomie face aux intrants. Voici les principaux indicateurs à suivre.
Un sol nu, entre deux cultures, est vulnérable : il subit l’érosion lors des orages, surchauffe en été, et perd sa vie biologique dans les couches superficielles. À l’inverse, garder un couvert végétal en permanence protège le sol, nourrit son activité et stimule son fonctionnement.
→ Indicateur : terres arables avec couverts végétaux (milliers hectares).
Les couverts végétaux maximisent la production de photosynthèse, entretiennent la biodiversité et stockent du carbone. Ils trouvent leur place en grandes cultures, dans les vignes ou en arboriculture.
Le semis direct consiste à implanter une culture sans travail du sol préalable.
→ Indicateur : surface en semis direct (en milliers d’hectares).
Cette technique limite l’évapotranspiration, préserve la structure et la vie du sol, et permet d’intervenir plus vite dans des fenêtres météo réduites pour assurer l’implantation des cultures. Elle devient précieuse dans des contextes de pluies soudaines ou de sécheresses prolongées.
Sur un territoire, développer le semis direct permet de sécuriser les implantations malgré des conditions climatiques imprévisibles.
Un sol riche en carbone et en matière organique retient mieux l’eau et les nutriments. Il amortit les sécheresses, favorise une bonne structure et nourrit durablement la vie du sol.
→ Indicateur : variation des stocks de carbone (tC/ha) et part d’azote organique (%).
Ces deux indicateurs se lisent surtout en tendance, sur plusieurs années. Le carbone joue un rôle de réservoir d’eau, l’azote organique reflète la part de fertilisation issue de sources naturelles (fumier, compost) plutôt que de synthèse. Ensemble, ils signalent la capacité des sols à être plus autonomes et résilients.
Le changement climatique accentue certaines pressions (ravageurs, maladies), ce qui peut entraîner une hausse des traitements. Une dépendance accrue fragilise les exploitations, notamment face aux contraintes réglementaires et environnementales croissantes. Sur un territoire, limiter cette dépendance renforce l’autonomie et réduit les risques de fragilité.
→ Indicateur : NODU (Nombre de Doses Unités de produits phytosanitaires).
Pois chiches, lentilles, féverole, luzerne ou trèfle fixent l’azote de l’air et enrichissent les sols. Elles ouvrent aussi la voie à de nouvelles filières alimentaires.
→ Indicateur : quantité d’azote fixée par symbiose (ktN).
En culture principale, en fourrage ou en interculture, leur présence est un bon indicateur d’agrosystèmes plus autonomes et moins dépendants des engrais de synthèse.
Sur un territoire, déployer les légumineuses contribue à une agriculture plus autonome et fertile.
En élevage, la résilience dépend des ressources fourragères locales. L’objectif : éviter une dépendance à une seule culture sensible au climat, comme le maïs. Mais la résilience ne dépend pas seulement de la diversité des ressources fourragères. Elle repose aussi sur l’adéquation entre les besoins du cheptel et les capacités réelles de production du territoire, qui varient fortement selon les conditions climatiques.
→ Indicateur : production fourragère issue du maïs et des cultures, production fourragère issue de pâturage, part de la production fourragère issue du pâturage et des prairies permanentes naturelles (%), bilans fourragers (surplus d’herbe, ktMS).
Constituer des stocks pluriannuels et ajuster le niveau de chargement (nombre d’animaux/ha) permet de garder une marge de manœuvre lors des sécheresses.
Sur un territoire, cette diversification sécurise l’alimentation animale et limite la dépendance aux achats extérieurs.
L’évolution des haies et de l’agroforesterie est un marqueur fort de la résilience au changement climatique.
→ Indicateur : haies sur prairies et terres arables (milliers km) ; agroforesterie sur prairies, grandes cultures, pré-vergers (milliers d’ha).
Ces infrastructures végétales offrent de multiples co-bénéfices : ombrage pour les animaux, microclimats, protection contre le vent, atténuation de l’érosion, refuge pour la biodiversité, stockage de carbone.
Sur un territoire, maintenir et renforcer ce maillage végétal revient à créer un climatiseur naturel face aux conditions extrêmes.
Mesurer la résilience agricole au changement climatique suppose d’aller au-delà des volumes produits.
Il s’agit d’observer des signaux parfois discrets mais révélateurs : diversité des revenus, autonomie des sols, gestion de l’eau, place de la biodiversité…
Bien interprétés, ces indicateurs offrent aux chargés de mission une grille de lecture commune pour repérer les fragilités du territoire et nourrir le dialogue avec les acteurs agricoles.
Les indicateurs présentés ici sont issus d’un travail de l’ADEME avec Solagro dans le cadre de la prospective Transition(s) 2050 réalisé à l'aide de l'outil de modélisation MOSUT incluant sur le volet agricole, ClimAgri®. Ces outils sont utilisés pour représenter l'agriculture, l'alimentation et la forêt d'un territoire, et explorer différentes trajectoires que peuvent prendre ces secteurs pour contribuer à l’atténuation du changement climatique et à la résilience face au changement climatique.Vous souhaitez approfondir les notions abordées dans cet article ou explorer les indicateurs présentés pendant l’atelier ? Voici quelques ressources clés mentionnées par les intervenants :
Contact : audrey.trevisiol@ademe.fr