Mettre en récit mon territoire pour engager
Cet article a été rédigé avec les précieuses interventions de Violaine Magne (Clermont Auvergne Metropole) et d’Adam Gibaut (PNR du Pilat), merci à eux.
Pourquoi faire la mise en récit de son territoire ?
« L’humanité est une espèce fabulatrice qui, en se racontant des histoires de plus en plus complexes, développe des capacités de coopération » - Nancy Huston et Yuval Noah Harrari, auteurs.
Notre cerveau s’est développé selon “deux systèmes distincts de traitement de l’information”. L’un est analytique, logique et traduit la réalité en symboles abstraits, en mots et en chiffres. L’autre est orienté par les émotions (la peur, l’angoisse, la colère, la joie…), les images, l’intuition et l’expérience. (Le syndrome de l’autruche Georges Marshall, philosophe)
Une émotion est ce qui met en mouvement, elle est source d’énergie. Faire appel aux émotions, c’est se donner la possibilité de faire bouger les gens, les points de vue.
Ex. la surprise m’informe que je ne suis plus en phase avec mon environnement, elle révèle un besoin d’ajustement pour me reconnecter ⇒ je dois bouger. L’éco-anxiété est une forme de peur qui informe d’un danger perçu, elle révèle un besoin de sécurité.
La mise en récit qui tisse des relations entre les événements et les personnes qui les vivent, permet d’en tirer une compréhension partagée. En suscitant des émotions, elle met les personnes en mouvement, les “embarque”. Nous partageons plus volontiers un récit que des « données brutes ».
A retenir : On ne s’approprie pas des données (les résultats d’un diagnostic de vulnérabilité par exemple) en le lisant, par simple transfert d’informations. Il faut se poser soi-même des questions pour en faire des connaissances : se projeter dans des situations futures, associer des savoirs et donc embarquer ceux qui les portent, comprendre avec qui l’on partagera une même expérience des impacts.
La pyramide DICS (Donnée / Information / Connaissance / Sagesse) propose une image de processus d’appropriation d’une donnée :

Retour d’expérience : Violaine Magne (Clermont Auvergne Metropole) et d’Adam Gibaud (PNR du Pilat)
Les deux territoires sont dans une démarche TACCT. Avant de poursuivre avec TACCT Stratégie, ils ont tous deux organisé une restitution de leur diagnostic de vulnérabilité avec une mise en récit de leur territoire.
1️⃣ Pour la CAM :
Pour travailler à une stratégie permettant d’identifier des actions à court, moyen et long terme pour la ressource en eau et l’inconfort thermique, il fallait pouvoir démarrer avec une compréhension partagée de ces enjeux entre parties prenantes du territoire.
L’atelier a démarré par un temps stimulant l’imaginaire grâce à une Une de journal fictive mettant en avant le territoire en 2044. Cette vision à la fois synthétique, imagée et appréhendable facilement, a offert une vision tangible, sensible et mobilisatrice du futur du territoire.
Les participants ont ensuite été invité à travailler par thématique pour rappeler les actions déjà mises en place et celles qu’il faudrait mettre en œuvre au regard des impacts attendus du changement climatique.
👉 Pour en savoir plus sur cet atelier, consultez le retour d’expérience de Violaine sur la librairie Ademe.
2️⃣ Pour le PNR Pilat :
A la suite du diagnostic de vulnérabilité et de l’identification d’un enjeu prioritaire sur la forêt, le PNR du Pilat a réalisé 2 ateliers stratégiques utilisant la mise en récit de leur territoire.
- Le 1er atelier a permit de déterminer des niveaux d’impacts et de séquencer des actions d'adaptation par niveau avec des experts de la forêt. Les données recueillies au cours de cet atelier ont été consolidées en interne pour produire un récit "si on ne fait rien".
- Un 2nd atelier a démarré par la lecture de ce récit pour susciter des proposition d'amélioration par les participants eux-mêmes. La ventilation des actions par niveau d'impact a elle aussi été améliorée et a donné lieu à un 2nd un récit traduisant la situation d’un PNR du Pilat ayant su adapter sa forêt et sa filière sylviculture au contexte climatique.
- Une synthèse issue de ces récits a été présentée en commission, réunissant élus et experts présents aux ateliers.
👉 Pour en savoir plus sur ces récits, consultez les fiches mises à disposition de la communauté par Adam.
Découvrez d'autres mises en récits
Quelques apprentissages clés :
Faire appel aux émotions : oui, mais comment?
Au delà d’une prise de conscience, les émotions sont des réactions qui suscitent une mise en mouvement.
La mise en récit peut prendre plusieurs formes : texte écrit, images, BD, autres formes artistiques… Dans tous les cas, le récit transmet de véritables informations (issues du travail sur le diagnostic) et les émotions qu’il suscite donnent du sens à l’action commune à mettre en œuvre : le processus d’appropriation est en marche.
Allant au-delà d’une simple compilation de données météorologiques, le récit illustre des conséquences tangibles du changement climatique sur le territoire. Pas d’auto-censure : Violaine a craint de choquer avec certains titres alors que des participants ont, au contraire, estimé que la réalité pourrait être pire. Vous pouvez montrer différentes hypothèses : si rien ne change ou ce qui pourrait advenir avec une action politique ambitieuse.
Mise en récit : quelques questions à se poser
En amont de cette présentation : réfléchissez clairement à votre rôle durant l’atelier. Démultiplier vos rôles : facilitateur de la session, expert technique, etc., peut créer de la confusion pour les participants. Pour y répondre un accompagnement externes simplifie souvent les choses.
Enfin, ne sous-estimer pas le temps nécessaire pour produire des scénarios de qualité. Choisissez un format d’atelier en fonction de votre capacité à mener ce travail. Par exemple : Violaine, ancienne journaliste maitrisait déjà l’exercice de la rédaction d’une Une. Dans tous les cas, une bonne préparation est essentielle pour le succès de l'atelier, car il s’agit du point de départ pour de plus vastes échanges.
Comment exploiter efficacement les résultats ?
Avant même de lancer les ateliers, il est fondamental de se poser des questions sur leur finalité et l'exploitation des résultats. Cet élément est important, par exemple pour Clermont Auvergne Métropole, la diffusion de la Une à des non-participants à l’atelier n’est pas prévue : il s’agit d’un support de travail qui ne peut être sortie de son contexte et qui est à l’origine de réflexions.
Dans tous les cas, un travail de consolidation rigoureux des échanges sera nécessaire à la suite de l’atelier et vous permettra d’avancer plus surement dans votre démarche d’adaptation au CC.
Conclusion
En conclusion, la mise en récit du territoire peut fournir un support à une traduction des conséquences du changement climatique dans un format qui parle à tous et où susciter l'émotion doit prendre le pas sur le fait d’être exhaustif ou “objectif”. Il est important toutefois que les données sous-jacentes soient issues d’un réel travail sur le diagnostic, validé par vos experts techniques, au risque d’être qualifiées de “science fiction”.
La mise en récit est un concept qui peut s’appuyer sur différents outils. Au delà des 2 exemples proposés, il en existe bien d’autres. Assurez vous que l’outil choisi soit en cohérence avec votre public (capacité à recevoir le message), mais aussi à vos capacités de mobilisation et enfin de facilitation d’ateliers ; si vous êtes incertain sur ce dernier point, n’hésitez pas à vous faire accompagner.